L’euthanasie du gouvernement ?

L’euthanasie du gouvernement ?

Alain Thévenet

À mesure que la faiblesse et l’ignorance diminueront, les bases sur lesquelles repose le gouvernement s’affaibliront aussi. Cette perspective ne devrait pourtant pas être envisagée avec crainte. Une catastrophe de ce genre serait la véritable euthanasie du gouvernement.

— William Godwin, Enquête sur la Justice politique (1792)a.

Bien avant

Cet « accident », à l’angle de la rue où j’habite : un jeune venait de fêter la naissance de son enfant et raccompagnait en scooter un jeune cousin, à qui il avait laissé son casque, dans une autre banlieue. Une voiture de flics fonce derrière eux et renverse le scooter. Le conducteur meurt. Le passager témoigne de ce qu’à deux reprises la voiture des flics a heurté le scooter. On porte plainte : l’affaire est considérée comme un accident de la circulation et classée sans suite. Plusieurs rassemblements ou manifestations (au cours desquelles on entend le rituel « Tout le monde déteste la police »). Aucun résultat…

Avant

Il y a ces deux souvenirs. Aucun rapport entre eux, sinon qu’ils sont miens : cette super-balade dans la forêt ; le bruit du vent ; quelques animaux qu’on entend sans les voir ; les oiseaux que l’on voit et qui discutent longuement et expressivement entre eux. Peut-être des renards. On se regarde les uns les autres et peut-être on échange des messages. Des sangliers, rarement, avec lesquels il convient de se montrer particulièrement diplomate, surtout lorsqu’il y a des marcassins avec eux. Et je respire…

L’autre souvenir : cette super-manif des hospitaliers ; tous ces copains perdus de vue avec qui on discute. Devant l’ancien Hôtel-dieu, devenu lieu luxueux pour touristes fortunés. On crie : « L’hôpital il est à nous » et on s’allonge à terre. Des graffitis et des « dégradations » sur les murs… Depuis, il est rigoureusement exclu que les manifestations passent par là. Même depuis que la municipalité est écolo, voire orientée à gauche. « Le pouvoir est maudit », disait la camarade Louise Michel.

Pendant

Je ne sais plus bien comment cela a commencé, ni même quand. Comme tout le monde j’avais entendu parler du virus, de la Chine, y compris du médecin chinois qui avait lancé l’alerte et s’était pour cela retrouvé en prison d’où il avait été relâché sous la pression et qui est mort, probablement infecté par le virus.

Il y a eu beaucoup de pandémies par le passé, sans parler de l’Ebola, mais ça, ce n’était pas grave ; on sait que les Africains, ça se reproduit beaucoup trop et que, comme on leur a pris toutes leurs cultures (aux deux sens du terme), ils viennent nous envahir (heureusement, il en meurt pas mal en route).

Et voilà qu’« on » nous annonce que c’est la guerre ! D’autres ont suffisamment relevé que dire cela, c’est dire une connerie. On ne fait pas la guerre contre un organisme, vivant certes, mais qui n’est ni un animal, ni même une plante. On fait la guerre contre des nations, pratiquement, donc, contre des humains. Ce sont même des hommes qui fabriquent les armes. Il faut bien que tout le monde vive ! Et certains vivent en fabriquant la mort… Ça fait un peu bizarre.

Toujours est-il que nous voilà confinés. Il faut une autorisation pour sortir de chez soi. C’est un peu comme à l’école, jadis et peut-être encore maintenant : « M’sieur Macron, j’ai besoin de faire caca, je peux sortir, s’il vous plaît ? Je vais faire sur moi ! » « On verra plus tard, s’il reste des gens pour te soigner ! »

Bon, j’exagère un peu, mais ce papier ridicule à signer… Je le rédige quand même, obéissant. On est dangereux, ou ce sont les autres qui le sont, à ce qu’on nous dit…

Si j’écoute William Godwin1, je dois obéir à ma propre raison, sachant qu’il s’agit simplement du rapport et de l’équilibre qui s’établissent entre différents sentiments. Mais « la raison, même si elle ne nous pousse pas à l’action, est destinée à régler notre conduite, en fonction des valeurs relatives qu’elle attribue aux différentes excitations ». Sachant aussi que « le gouvernement est une question de force et non de consentement ». Quelquefois, la pression du gouvernement est très forte et assortie de sanctions. Nous pouvons alors répondre ceci : « Vous êtes dans votre rôle en enchaînant le corps et en limitant nos actions […] Annoncez vos sanctions et nous ferons le choix de nous soumettre ou de les souffrir. Mais ne cherchez pas à asservir nos esprits. »

Avais-je ce cher William en tête ? Sans en avoir conscience, ce n’est pas impossible. Toujours est-il que je me suis promené avec le petit papier. Surtout pour ne pas avoir d’emmerdement. Je me suis donc « soumis ». Je n’avais aucune idée de ce qu’il était préférable de faire dans une telle situation, bien que je me sois assez vite rendu compte qu’il en était de même pour les « autorités », non seulement politiques mais aussi scientifiques, qui se contredisaient sans arrêt…

Sans contact autre que téléphonique, avec mes enfants et petits enfants, avec les copains et aussi avec les migrants que je connais et que je tente d’aider. Je suis donc sorti avec mon petit papier pour faire des courses et aussi pour faire le tour de mon quartier. Je rencontrais des gens que je ne connaissais pas, ou seulement de vue. On se saluait, avec les « gestes barrière » bien sûr ! On se disait parfois quelques mots et on partageait un sourire.

Il y eut aussi ces applaudissements à 20 heures Aux fenêtres, on saluait les voisins. Le confinement, paradoxalement, a créé des liens dans le quartier. S’ils avaient existé avant, on peut imaginer que nous aurions été capables de nous organiser face à la pandémie. Et si cette solidarité subsistait, ce qui est malheureusement peu probable, cela pourrait servir. Cela irait donc dans le sens de ce que Godwin, désigne comme « l’euthanasie du gouvernement », qui mourrait de sa belle mort parce que devenu inutile !

Une conséquence importante de ce confinement a été de vouloir nous faire considérer le corps de l’autre comme dangereux, contre lequel il faut donc édifier une barrière. Quelle expression ! Une barrière, donc un mur entre soi et l’autre. Des barrières, il est vrai, il y en a beaucoup, en Israël pour séparer Arabes et Juifs, entre les USA et le Mexique. Les frontières sont aussi des barrières, qui sont faites, dans la réalité pour être franchies puisque dans la réalité, les humains sympathisent des deux côtés de la frontière2.

C’était donc pendant le précédent confinement. Un kilomètre autour de chez moi, ça ne va pas chercher loin. On croise des gens, parfois on se parle, surtout avec les jeunes qui ont tendance à occuper toute la place ; je leur demande gentiment de me laisser passer, ils le font en s’excusant et m’adressent des paroles gentilles ou ironiques, me faisant remarquer en rigolant que mon masque est de travers, alors qu’eux ne le portent pas du tout. La plupart des jeunes de mon quartier sont plus ou moins foncés. Un maghrébin m’a dit une fois « je suis blanc, mais un peu foncé » !

Des bribes de conversation me laissent entendre qu’il est devenu difficile de se procurer du shit. Je compatis, réalisant que, moi qui ne devrais pas fumer (de tabac !), je ne l’ai jamais autant fait, enfermé chez moi.

Aurais-je pu profiter de ces moments pour discuter avec eux de ce qu’ils pensaient de tout ça et s’il était possible d’imaginer d’autres relations entre nous, au niveau de ce que Godwin appelait (c’était de son temps et de sa formation de pasteur qu’il avait abandonnée lorsqu’il perdit la foi) la « paroisse » ?

Mais je ne l’ai pas fait ; je n’ai pas su ou pas pu !

Mais, dans le contexte du confinement, et des « gestes barrière » je crois que le corps parle, et s’exprime d’une façon beaucoup plus authentique, ou en tout cas complémentaire aux mots qu’on utilise. Lorsqu’on est en présence de l’autre, il nous dit par les expressions de son visage et l’attitude de son corps son approbation ou son désaccord, son ennui, son enthousiasme, etc. Et nous faisons de même. Ni le téléphone, ni même la vidéo ne peuvent remplacer la présence physique. Nous sommes donc restés fondamentalement isolés.

Après

On n’est pas impunément pendant plusieurs semaines incité à se méfier des autres. L’espèce humaine est une espèce sociale, qui a besoin de vivre en groupe. Comme les loups, par exemple (de loin moins destructeurs et cruels que les hommes, le loup n’est pas un homme pour le loup !). Quand on sort de notre grotte, on ne sait pas trop comment faire, on n’est plus habitué. Si je vais revoir mes enfants, je ne pourrai pas les embrasser. Et puis toujours les gestes barrière !

Au-delà du quartier

84 Dessin par Alexandre Loye

Sur un plan plus militant, on va essayer de se voir localement dans mon syndicat (CNT Santé Social), de partager nos expériences et nos espoirs. Mais voilà que les politiques veulent consulter tous les soignants. Évidemment, il va y avoir des paroles de réconfort, on laissera tomber (provisoirement) la réforme des retraites. Et puis ça va être les vacances et l’enthousiasme d’avant le confinement est un peu tombé. Il va peut-être renaître…

Et avant 18h, et pour ceux qui travaillent, comment se rencontrer ?

On a beaucoup vanté les « avantages » du travail à domicile. Le premier avantage, à mon avis, est surtout pour les patrons qui éloignent ainsi un risque pour eux : au travail avec les autres, on peut au moins les rencontrer et éventuellement, pendant une pause, avant l’entrée ou après la sortie, parler, se connaître et n’être pas seulement un pion isolé dans une machine économique qu’on peut critiquer puisqu’on la connaît mieux, plus concrètement, que ceux qui la dirigent et n’y cherchent que le profit !

La prochaine fois, saurons-nous pratiquer l’autogestion ?

Avec les migrants, et au-delà

Le hasard, peut-être, ou peut-être pas, m’a fait les rencontrer et en tant qu’analyste reichien3 tenter de les aider.

Ils m’apportent beaucoup. Par leurs expériences et par leurs différences, leurs langues que, bien sûr, je ne comprends pas, d’autant qu’elles sont diverses selon leurs origines. Car celles-ci, heureusement demeurent vivaces. Jadis il y avait sans doute des « embrouilles » parfois entre eux, par exemple entre sédentaires et chasseurs cueilleurs. Ils se tuaient quelquefois. Rien de comparable pourtant à ce qui se passait déjà entre « civilisés ». « Que m’importent les mœurs, le costume, la physionomie et l’accent différent de celui dont le cœur bat à l’unisson du mien4 ! »

Cependant, il faut bien reconnaître qu’il y avait déjà partout des formes d’État, sans doute différentes des nôtres, mais qui visaient aussi à être définitives : l’empire du Mali en Afrique qui, peut-être, d’ailleurs, avait été institué comme copie des modèles européens, connus par les relations commerciales entre les deux continents. Le capitalisme en germe et ses liens avec la formation de l’État ? Godwin s’interrogeait déjà :

Les institutions prévues pour rendre immuable quelque mode particulier de pensée ou de condition d’existence sont pernicieuses.

En Amérique, il y avait l’Empire Inca dont les archéologues ont retenu la beauté et la richesse des palais et des constructions religieuses. Mais les croyances ici n’avaient aucun rapport avec quelque monothéisme. Il n’empêche que nombre d’Amérindiens ont préféré fuir dans les montagnes et s’organiser en structures qui n’avaient rien à voir avec un embryon d’État. Ils y vivaient en paix et en communion avec une nature qu’ils ne distinguaient pas de leur culture.

Les anthropologues divergent parfois. S’ils reconnaissent unanimement la valeur et la spécificité des cultures des peuples qu’on appelait autrefois « indigènes » (ils le sont au même titre que nous-mêmes !), ils expliquent leur refus de l’État de manières différentes. Ainsi Pierre Clastres considère que les Indiens Guayaquil se sont structurés de façon à lutter contre l’État. À l’inverse de Clastres, Philippe Descola affirme que le terme de « chef » n’existe pas chez les peuples qu’il a rencontrés. Existent des « hommes éminents », chargés les uns de résoudre les conflits internes ou externes, d’autres de soigner les maladies, etc.

En résumé, à ce que je comprends et en déduis, les humains peuvent s’organiser en États, en tribus, ou en peuples. Il peut exister aussi des alliances ou des combinaisons.

Et au passage, je me plais à rappeler que Philippe Descola, qui ne s’est jamais réclamé de l’anarchisme, déclarait dans une interview à France-Culture qu’il ne servait à rien d’adresser des demandes à l’État, puisque c’est lui qui est à l’origine des maux que nous subissons, et il faisait l’éloge, entre autres, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. J’y ajouterai volontiers les squats auto-organisés par les migrants.

« Quand nous en serons au temps d’anarchie, Les humains joyeux auront un gros cœur »

C’est ce que je peux imaginer lorsque ce que j’ai vécu dans la journée, ou la semaine, à travers les rencontres que j’ai pu apprécier, et aussi mes humeurs qui les ont accompagnées, les lectures que j’ai faites, me fait imaginer un univers de relations multiples que je souhaiterais sans limite, avec les humains, et même avec toute forme de vie : animaux, plantes, nature en général, tout ceci m’emplit d’amour, d’amour à recevoir, mais aussi et surtout à donner, comme l’exprime, à travers la plus grande partie de son œuvre, Ernest Cœurderoy ; « C’est de l’homme qu’il faut partir pour organiser la société, de la liberté pour déterminer la solidarité5. » Et Godwin écrit qu’il est dommage, quand nous marchons sur un sentier, que nous devions écraser des insectes. Une solidarité avec les animaux non humains qu’affirme aussi Reclus6, et qui rappelle les conceptions animistes, un animisme dont, je ne sais plus où, Bakounine dit qu’il se rapproche plus de la réalité que les religions établies.

D’autres fois, pour des raisons diverses, ça ne va pas bien du tout ; je regarde tout le monde de travers. Un peu comme Cœurderoy (Hurrah, p. 434-435) : « Et ma haine, c’est de l’amour encore, amour qui brûle, amour qui tue » ? Enfin, pas vraiment : ce que je ressens, c’est de la peur. La haine, je peux pourtant l’imaginer. Mais il n’est pas impossible de supposer que ceux qui ressentent généralement ces émotions négatives ressentent aussi parfois des émotions proches de l’amour. Nous ne sommes pas si différents que ça.

Bien sûr, il y a l’État et le capitalisme (celui-ci ne mérite même pas de majuscule !) qui fondamentalement nous mettent en rivalité (pour M. Macron, il faut être « premiers de cordée » : je ne peux pas, j’ai le vertige !) et nous disent que, par exemple, il faut se méfier de migrants qui pourraient, on ne sait jamais, être des terroristes en puissance. Je pense qu’il n’en a pas rencontré beaucoup. Et qu’il n’a pas non plus rencontré ceux qui cherchent un travail et à qui il conseille de traverser la rue, au risque de se faire écraser, et encore moins ceux qui n’en cherchent plus ou n’en ont jamais cherché, tant ils se sentent en dehors du système.

Que faire ?

… comme disait Lénine, qui a donné une réponse dans la lignée de Marx, le monsieur qui de son bureau voulait dicter au peuple sa conduite, et à qui Bakounine s’oppose fermement dans sa Lettre à La Liberté : « Aucune propagande n’a jamais donné à un peuple le fond de ses aspirations et de ses idées, ce fond ayant toujours été le fruit du développement spontané et des conditions de sa vie ». Et il oppose à la notion de classe, qui ne peut être qu’une élite d’ouvriers qualifiés, celle de masse, ouvriers et paysans pauvres7. Cœurderoy exprime une idée similaire lorsqu’il exprime aux peuples de toutes les barricades son rejet de la nation conquérante8.

Godwin s’était peut-être trompé, comme Condorcet, et bien d’autres après eux, y compris beaucoup d’anarchistes. Pendant longtemps, depuis que j’ai commencé « à faire l’anarchiste » (j’avais seize ans), je croyais qu’inévitablement le progrès allait amener une diminution du temps nécessaire au travail. Pourtant Cœurderoy écrivait déjà dans Hurrah (p. 257) : « Le Progrès est un mirage qui recule à mesure que nous avançons. »

Dans le passé, beaucoup d’épisodes d’espoirs : la Commune de Paris, ou de Lyon, les printemps des peuples pendant lesquels se préfigurait une société humaine libre et solidaire. Puis les révolutions ukrainienne et espagnole. Chaque fois, les totalitarismes conjoints des États et du capitalisme ont repris les rênes de leurs pouvoirs en ricanant. Mais ce passé a laissé en nous les traces d’un bonheur possible, même si « le temps n’est point encore où les hommes iront à la rencontre les uns des autres, poitrines découvertes et les bras ouverts » (p. 283). C’est en grande partie parce qu’ils sont mis en concurrence les uns avec les autres et que beaucoup acceptent ce combat, qui n’est pas un combat pour la vie, mais un combat pour la mort ou l’humiliation de l’autre.

Alors…

« Il semble encore loin… »

Ici jadis, les paysans n’étaient pas obligés de suivre aveuglément les rois ni les seigneurs. Certes, parfois, ils se faisaient massacrer, mais le reste du temps ils réglaient entre eux leurs affaires. Puis est venue la « mare croupissante de jouissances et de misère que nous appelons pompeusement la civilisation » (p. 271). Il s’agit donc bien de considérer « pour but final la constitution de l’humanité, par conséquent la ruine de tous les États9 ».

La République nous affirme tous « libres et égaux », ajoutant sagement « en droits ». mais voilà, il y a des lois et surtout des intérêts qui démentent cette affirmation.

Partout, ou presque dans le monde, les peuples se rebellent, et ce malgré le Covid, qui modifie un peu la situation. Ils demandent plein de choses, mais ils ne sont jamais contents des réponses que les Pouvoirs leur apportent, et ils retournent dans la rue. Ils ne réclament pas l’anarchie, mais ça y ressemble. Les « gens biens » le disent d’ailleurs : « c’est l’anarchie ».

Mais une autre préfiguration est possible. Les répressions partout sont de plus en plus violentes. On peut renoncer et se dire que, tant qu’à faire, ce qu’il nous faut, ce sont de vrais chefs qui décideront de tout pour nous, celle d’un totalitarisme mondial, déjà bien entamé sous ses formes les plus caricaturales : Russie, Chine (merci, M. Marx !). Et, même autour de nous, beaucoup, ou certains en tout cas, se disent que tant qu’à faire, puisqu’il faut des chefs, autant que ce soient de vrais chefs, qui nous dispensent de réfléchir, comme on est encore obligé de le faire aujourd’hui. et il ne nous restera qu’à attendre tranquillement la mort.

Opinion surtout répandue parmi les « civilisés ». Comme l’écrivait Godwin (avec beaucoup de précautions parce qu’il avait beaucoup de reconnaissance de son apport), en gros, tout ça c’est la faute à Rousseau, puisque c’est un peu celui qui justifie la loi, acceptée par tous et toutes sous laquelle nous marchons d’un même pas, puisque nous avons voté.

Alors…

« Mais si loin soit-il, Nous le pressentons » « une foi profonde / nous fait entrevoir ce bienheureux monde / qu’hélas à tâtons nous cherchons encore… »

Le système républicain est-il le plus avancé, le plus « civilisé », dirait l’ami Cœurderoy ? Ça craque de partout. Rien qu’autour de nous, des amis créent des lieux autogérés dans lesquels, dans la mesure du possible, l’argent est remplacé par des échanges de services. Freud (que je résume ici, sans doute en le trahissant) affirmait une analogie avec la merde : ou on la garde bien en soi et on risque d’en étouffer, ou on s’en débarrasse. Il nous faut une bonne diarrhée. Une diarrhée d’amour. Bien sûr !

Ne soyons pas trop prétentieux ; il nous faut reconnaître que la peur et donc la haine sont toujours des possibles en nous. Et donc que l’amour est aussi une possibilité pour d’autres dominés par la peur. Nous ne sommes pas meilleurs qu’eux. Négatives ou positives, partageons ces émotions que connaissent aussi les autres animaux. Saurons nous aller vers les autres « poitrine découverte et bras ouverts » ? Peut-être pas toujours…

Ne tombons pas dans le piège des habitants de la planète Anarres10 au sein de laquelle une élite s’est formée qui, finalement, décide de tout, ce qui induit une certaine monotonie alors que le personnage principal découvre sur la planète Urras des paysages bien plus variés et riches dans leurs diversités. Nous avons beaucoup à apprendre de ceux qui nous sont étrangers. Et les seules armes que nous avons sont celles de l’amour qui nous permet de ressentir en l’autre les mêmes émotions qui sont aussi en nous. Les seuls alliés sont ceux que nous avons dans la place, diraient les partisans de la Daseinanalyse11.

Alors ?

Peut-être toujours l’amour qui nous fait reconnaître en tous les autres nos frères en humanité…

Alain Thévenet


  1. L’auteur imaginait pour le gouvernement (l’institution et non une personne) une disparition qui viendrait de soi, par une évolution naturelle. Le terme de catastrophe, utilisé ici, n’a rien à voir avec les pandémies et les guerres que nous avons connues et que d’autres ailleurs connaissent encore.


  1. William Godwin, Enquête sur la Justice politique. Atelier de création libertaire, 2005, p. 33-34 et 169. 

  2. Voir les réflexions de John Clark sur le biorégionalisme, Réfractions numéros 1 et 2. 

  3. Voir par exemple Jacques Lesage de La Haye, Psychanalyse corporelle et sociale, Chronique sociale, 2014. 

  4. Ernest Cœurderoy, Hurrah !!! ou la Révolution par les Cosaques, Plasma, 1977, p. 285. 

  5. La barrière du combat, Lyon, ACL, 2020, p. 37. 

  6. Voir Roméo Bondon, Le bestiaire libertaire d’Élisée Reclus, Lyon, ACL, 2020. 

  7. Bakounine, Œuvres complètes, t. 3, Champ Libre, p. 161. 

  8. La barrière du combat, p. 42-43. 

  9. Bakounine, op. cit., p. 165. 

  10. Ursula K. Le Guin, Les dépossédés, Robert Laffont, 1979. 

  11. Henri Maldiney, Penser l’homme et la folie à la lumière de l’analyse existentielle, Millon, 1991. 

Éclats de préfiguration Petite fable à propos de l’éradication définitive de l’anarchisme