Tel Lord Byron qui donna sa vie pour l’indépendance de la Grèce, Marc est tombé sur cette terre qu’il aimait et qu’il s’était choisie.
En le perdant, nous perdons un compagnon d’envergure contemporaine, créateur d’une incessante réactivation de l’anarchisme. Il participe de ces figures actuelles de l’anarchisme. Inutile de refaire ici sa biographie très bien documentée dans « le Maitron » de longue date. On peut lire ici ou là quelques interviews qu’il a données retraçant son parcours, un parcours typique de la modernité de l’anarchisme. Lycéen en mai 1968, et actif au CAL, il partageait ainsi avec moi et quelques autres, cette entrée en matière dans la vie politique qui serait la nôtre, à nous les petits de 68. Il n’a jamais répudié son attachement aux auteurs situationnistes qu’il lut même avant mai, et est devenu un ami proche de Raoul Vaneigem qui représentait pour Marc une source d’inspiration majeure. Militant très averti, il ne se laissait jamais leurrer par des intrigues ou tentatives autoritaires, aussi critiques fussent-elles. Il avait un sens aigu des subversions productives et ne s’est jamais réfugié dans le spectacle, les complaisances ou les superficialités mondaines. Certes il était gentil avec tout le monde, souriant, ouvert, sociable. Sans illusion. Vagabond des étoiles comme Panait Istrati, il s’est attaché à l’Espagne post-franquiste, puis au Chiapas et enfin à la Grèce. Quand un mouvement arrivait à bout de souffle, Marc reprenait sa route vers d’autres cieux plus tumultueux. Il s’est fracassé à Xania, au squat de Rosa Nera, où il nous avait conduits au terme d’un heureux périple qu’il confectionnait pour ceux qu’il choyait, lors des cinquante ans de mai 1968. Avec Jean-Pierre Duteuil et Tomas Ibáñez, en compagnie de ses deux intimes Lucile et Babis, nous avons sillonné de squat en squat, des espaces grecs autogérés où nos débats s’étendaient à perte de nuit, tant nos compagnons grecs étaient friands de discussion. Rosa Nera est l’écrin idéal pour la mémoire de Marc, c’est un lieu somptueux, avec des compagnons anarchistes ardemment soucieux de leur autonomie, cette autonomie que Marc défendait.
Comme il a aussi croisé le mouvement surréaliste, où je l’ai retrouvé parfois aux côtés d’Oscar Borrillo et de Guy Flandre, j’ai choisi un poème de Joyce Mansour, surréaliste égyptienne, pour lui rendre un dernier hommage, « Bleu comme le désert ».
Heureux les solitaires
Ceux qui sèment le ciel dans le sable avide
Ceux qui cherchent le vivant sous les jupes du vent
Ceux qui courent haletants après un rêve évaporé
Car ils sont le sel de la terre.
Heureuses les vigies sur l’océan du désert
Celles qui poursuivent le fennec au-delà du mirage.
Le soleil ailé perd ses plumes à l’horizon
L’éternel été rit de la tombe humide
Et si un grand cri résonne dans les rocs alités
Personne ne l’entend, personne.
Le désert hurle toujours sous un ciel impavide
L’œil fixe plane seul
Comme l’aigle au point du jour
La mort avale la rosée
Le serpent étouffe le rat
Le nomade sous sa tente écoute crisser le temps
sur le gravier de l’insomnie
Tout est là en attente d’un mot déjà énoncé
Ailleurs.
Claire Auzias
Cher Marc,
tu n’as jamais fait partie, tu ne feras jamais partie des morts-vivants qui perpétuent la longue agonie du vieux monde. C’est pourquoi je m’adresse à toi au nom de cette vivacité qui ne t’a jamais quitté et qui continuera d’être présente parmi nous. Car légataires des insurgées et des insurgés du passé, nous jetons les bases d’une véritable internationale du genre humain. Choisir le parti pris de la vie est désormais le seul recours contre ceux qui sèment la mort sur la terre entière. C’est le combat que tu as choisi de mener et ton amitié rayonnante avait souvent plus d’efficacité que bien des diatribes. L’érudition et la vigilance de l’éditeur nous ont donné des écrits rares et percutants. L’infatigable responsable de la Voie du jaguar a préparé la venue imminente des zapatistes qui débarquent porteurs d’un monde nouveau dans la vieille Europe si acharnée à les réduire en esclavage. Dans toutes les festivités à venir il sera l’ombre du personnage absent. Mais je ne veux pas verser dans l’oraison funèbre. Marc était avant tout un ami. Cette magie intime que sont les affinités électives nous avait faits proches. J’ai beau savoir que la mort t’a cueilli dans l’exaltation de Rosa Nera redevenue libre, je n’en reste pas moins convaincu qu’aucune mort n’est heureuse. Néanmoins, nous étions pour ainsi dire en conversation lors de cet étincellement de l’enthousiasme qui t’a frappé. J’aime à voir dans cette fulgurance – funèbre pour nous, joyeuse pour toi – un appel à ne jamais désespérer ni de sa propre existence ni du monde, si délabré qu’il nous paraisse. Tu as toujours eu l’art de persuader sans donner de leçons. Merci Marc.
Raoul Vaneigem
Durruti avait ouvert les portes… il le fallait. Année 90, fin de siècle, sans papiers, chômeurs… Une bande de musiciens, de musiciennes et bien sûr Violeta, Diego1 et François, sens de toutes les sentes… le studio et la rue font bon ménage. Spectateurs actifs, expectatifs acteurs : « Étrangers, ne nous laissez pas seuls avec les Français » dit un tract de Frédéric Goldbronn et Jean-Louis Comolli. Beaucoup de rencontres… Parmi elles, Marc Tomsin, silhouette marquante, présence inaccoutumée, intrigante, tellement vive. Vive les correcteurs, vive le Chiapas ! Marc Tomsin, alors, c’est déjà toute une histoire. Comité Vietnam en 1967, Comités d’action lycéens et JAC (Jeunesse anarchiste communiste) en 1968, etc. La lecture de Raoul Vaneigem l’inspire. Amitié durable. Mille autres activités, incessantes, d’intelligence active. Barcelone, 1977, il rencontre Abel Paz, naissance d’une autre amitié. En 1985, avec Agnès Soyaux, il fonde les éditions Ludd : Les Vagabonds n’ont pas perdu le goût de la chose chantée de Carlos Semprun Maura, Journal d’un chien d'Oskar Panizza, Thomas Munzer ou la Guerre des paysans de Maurice Pianzola, l’indispensable Grève des électeurs d’Octave Mirbeau ou encore, entre autres, Banalités de base de Raoul Vaneigem. La suite dans les idées. Ne jamais oublier les luddites combattant le travail mécanique il y a deux siècles (ou devrions-nous dire : depuis deux siècles ?). Marc Tomsin participe à la fondation du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL) en janvier 1995. Poésie constante, arme véritable, imbattable.
Se défendre et savoir lire. Partager. Marc Tomsin, regard d’oiseau, scrute tous les recoins du lointain en appréhendant l’immédiat, dégaine panachée, élégance avivée. On se rencontre de loin en loin, de loin en près, telle manifestation, tel salon du Livre Libertaire. Qui a rendu visite aux Mayas, Tseltal ou Tzotzil de nos jours, nos beaux jours, l’aura aussi vu là-bas. Le 28 mai 2009, salut à Abel Paz qui vient de disparaître ; Violeta Ferrer dit « Le Pirate », Frédéric Goldbronn projette son film Diego et Marc Tomsin lit l’adieu de Valeria Giacomoni2. Ombre habile et généreuse. En 2007, il fonde une nouvelle maison d’édition : Rue des Cascades. Aussi humaine que le film du même titre de Maurice Delbez. Guiomar Rovira, Métie Navajo, Sous Commandant Marcos, Georges Bataille, Georges Lapierre, Alèssi Dell’Umbria, et Abel Paz bien sûr. Des Livres de la jungle à La voie du Jaguar, incessants compléments. Ces derniers temps il résidait à Exarchia. Logique ! En Crète, le 8 juin dernier, Marc Tomsin soudain disparaît. Depuis Thésée, on ne croyait pas ça possible. Une vie de cascades pour nous autres.
nato