Ils l’avaient mis dans une chambre les fenêtres grandes ouvertes, car il fallait ventiler et renouveler l’air, le virus rôdait, le matériel de ventilation manquait…
Dehors il faisait froid, très froid… dedans aussi. Alors Reinaldo a pris ses cliques et ses claques, il a sauté par la fenêtre et à l’heure qu’il est, il se promène sur les rives du Rio de la Plata, du côté de Buenos Aires, sa ville de toujours, dont il gardait le souvenir caché dans un petit tiroir de son atelier de La Ruche à Paris.
C’est la version anarchiste de l’histoire, la nôtre.
La version administrative, officielle donc, est que Reinaldo est mort, il y a quelques semaines déjà, dans une chambre sinistre d’un hôpital public de Paris, à la dérive depuis que la santé est devenue une marchandise… Avec une bonne pneumonie parisienne. Un chiffre de plus dans les statistiques de la pandémie du Covid. Mais qui croit encore aux versions officielles ?
Quoi qu’il en soit, nous ne le verrons plus dans les manifs sur les boulevards, en train de coller ses affichettes sur tous les panneaux et lampadaires, les vitrines des banques encore intactes…
Reinaldo avait 94 ans, il était anarchiste, sculpteur, peintre, le plus grand spécialiste au monde de Lunfardo, l’argot de Buenos Aires. Sur lequel il avait écrit un dictionnaire. Il était un camarade toujours pétillant et un ami.
Avant de partir vers El Rio de la Plata, Reinaldo nous a laissé un petit mot, que je vous transmets.
On pense beaucoup à lui, à sa révolte, son humour, son rire, sa sensibilité, son irrévérence et son humanité. Reinaldo était intraitable avec la bêtise du monde. Ce monde qu’il a aujourd’hui quitté. Il vit en nous avec tout ce qu’il nous a apporté, beaucoup !
Charles Reeve
Fais une seule chose dans ta jeunesse, aime
Fais une seule chose dans ta vie, vis
Vis avec décision audace et joie
Brûle-toi dans la flamme sacrée de la vie
Et quand ton âme comme une torche s’allumera
Incendiera ta jeunesse comme une orgie
Marche debout, du haut de ton être
Ne te baisse pas pour ramasser ce qui est tombé
Marche en avant, et le passé, reviens juste pour le détruire totalement
Vis la passion qui embrigade
Celle qui embellit ou celle qui tue
Essaye toujours d’avoir dans le creux de ta main
Une coupe, une rose ou une dague