René Fugler & Pierre Sommermeyer
P. : Alors tu commences quand ?
R. : Je ne sais pas, demain ou après-demain.
P. : Pareil, il me manque encore les épices, je dois passer chez le droguiste.
R. : Tu en fais combien de sortes ?
P. : Ça dépend, généralement il y a le stock puis A. rajoute ses envies du moment.
R. : Mais tu réponds pas à ma question !
P. : Ben il y a les pains d’épices, les schwowebredele, les macarons, noix de coco ou noisette et bien d’autres.
R. : Je ne fais pas de macaron car je ne sais pas quoi faire des jaunes d’œufs.
P. : Je ne savais pas non plus et il y a longtemps, dans les années quatre-vingt j’avais demandé à des collègues s’il y avait une solution. L’une d’elles m’a apporté une recette que lui avait donnée sa femme de ménage. Depuis nous utilisons cette recette avec des aménagements de temps à autre.
Ce type de dialogue sous une forme ou une autre a lieu dans nombre de familles en Alsace fin novembre ou au début du mois de décembre. Simultanément les magasins, supermarchés et autres se remplissent des ingrédients nécessaires et indispensables aux productions familiales de petits gâteaux de Noël. Dans chaque famille on recherche les formes pour découper ces petits bredele. Il y a des étoiles, des bonshommes, des bottes, des ronds, dentelés ou pas. Comme ils ne servent qu’une fois l’an on a oublié où ils ont été rangés. Le soir venant, seul ou en famille, parfois avec des amis, la fabrication est lancée. Une atmosphère étrange plane. En Alsace c’est la période de l’Avent, l’avant Noël bien sûr, l’avant Premier de l’an aussi. Les gâteaux seront mis dans des boîtes métalliques, souvent, par sortes avant d’être mélangés dans des petits sachets cristal, « kristall » dont il aura fallu se munir rapidement avant qu’ils ne disparaissent des étals.
Hormis la production familiale, tous les boulangers en font, Les marchés de Noël qui se sont multipliés dans notre région sur le modèle de celui de Strasbourg en sont remplis. Quelques jours avant le 25 décembre les petits sachets commencent à voyager au sein des familles, d’amis en amis, de voisins à voisins. Ils ne seront ouverts que ce jour-là ou la semaine qui suit. Ce sera l’occasion de comparaisons et de demandes de recettes. Ces dernières, il y en a autant que de familles alsaciennes, ont été transmises longtemps oralement. Aujourd’hui Internet a succédé pour partie à la vox populi, on y trouve des centaines de recettes différentes. La vraie différence étant en fait dans le tour de main de chacun ou chacune.
Toutes les familles fidèles aux bredele ne pratiquent pas systématiquement l’échange : mais si des visiteurs passent à la maison, un plat avec un mélange de gâteaux leur est présenté. S’ils sont accompagnés d’enfants, ceux-ci partent avec un sachet. Et si on va visiter des amis ou des proches, on apporte volontiers un sachet.
Des historiens se sont penchés sur les origines de cette tradition. Certains vont jusqu’à avancer que les Celtes ou les Romains, ou les deux, établis dans la région, entre Forêt Noire et Vosges, offraient à leurs dieux de petits gâteaux réalisés avec de la farine et du miel. Comme aujourd’hui. Les premières recettes de biscuits de Noël dont on a retrouvé des traces écrites datent du XVIᵉ siècle. Il s’agissait de celle du Anisbrod, littéralement « pain à l’anis », l’ancêtre des actuels Springerle et Anisbredele. Les plus anciens moules utilisés pour la fabrication de ces gâteaux datent du XIVᵉ siècle, mais l’on ne sait pas s’ils étaient confectionnés uniquement à l’approche de Noël ou pour d’autres occasions. Certaines sources lient les bredele et les sapins de Noël. Les petits gâteaux étant accrochés aux branches comme des cadeaux, leurs ingrédients étant rares et chers à l’époque. À partir du XVIIIe sont apparus les moules métalliques et les emporte-pièces et avec eux, d’innombrables formes différentes. À partir du XIXᵉ siècle certains ingrédients de base deviennent plus accessibles, comme le sucre de canne, la farine, le beurre, les fruits à coques et les épices. La créativité et l’inventivité des boulangers alsaciens n’ont alors plus de limites, et de multiples recettes de petits gâteaux très variés voient le jour.
À d’autres moments de l’année existent des traditions pâtissières comme les Männele, petits bonshommes en brioche ornés de pépites en chocolat pour faire les yeux. Ils apparaissent à la Saint Nicolas au début décembre. Ils sont l’occasion de multiples « pots » dans les entreprises, les uns apportant ces petits bonshommes, les autres fournissant le chocolat chaud. Jadis le vin chaud… Nous n’oublierons pas les Laemmele, agneaux pascals en gâteau de Savoie, au moment de Pâques. Ces traditions chères aux cœurs alsaciens sont une forme de vivre ensemble marquée par un fort enracinement rhénan, ainsi que le montrent les noms de certains petits gâteaux. Si elles sont bien particulières en France, elles se rattachent en effet à des traditions germaniques que partagent l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse alémanique. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque jusqu’au traité de Westphalie en 1648, l’Alsace faisait partie du Saint Empire romain germanique.
On trouve ainsi des bredele en Allemagne du Sud, alors que dans d’autres régions les gâteaux du Weihnachtsgebäck (pâtisserie de Noël) prennent des noms, des formes et des recettes qui varient. En Allemagne on fabrique, dans les familles comme dans les boulangeries et pâtisseries, essentiellement des Plätzchen, avec des gâteaux à l’anis, à la noix de coco, des macarons, etc. En Autriche, c’est sous le nom de Kekse que dans la même période dite de l’Avent on prépare une grande variété de petits gâteaux, en général bien décorés. Les Suisses alémaniques de leur côté aiment les Güetzi ou Guetzli, ainsi que des pains d’épices, les Basler Leckerli (délices de Bâle) qu’on confectionne aussi en Alsace. La tradition s’est d’ailleurs étendue à la Suisse romande, avec une préférence pour les étoiles à la cannelle, et pour les bruns de Bâle et les milanais, qu’apprécient également les voisins alémaniques (Brunsli et Mailänderli).
Et voilà donc que l’identitaire (régionaliste mais teinté d’internationalisme…) par le biais de la pâtisserie vient se glisser dans une réflexion sur l’alimentation.
En consultant la fiche Wikipédia de « bredele », on apprend que le mot est entré dans le Larousse en 2018 et dans le Petit Robert en 2019, ce qui vaut comme un début de réception officielle du mot dans la langue française – une « naturalisation » ! – quelque 370 ans après le traité de Westphalie précité (1648) qui marque le début de la revendication politique des Français sur l’Alsace (non sans rappeler que Strasbourg, ville impériale, ne fut annexée qu’en 1681…).
C’est l’occasion de rappeler la création, treize ans plus tôt (1635) de l’Académie française par le cardinal Richelieu, sous le règne de Louis XIII. Ses tâches furent fixées en 1637 : elle devait nettoyer le français des ordures qu’il avait contractées dans la bouche du peuple ou dans la foule du Palais, et sa fonction principale était de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à la langue française, à la rendre « pure », « éloquente » et « capable de traiter des arts et des sciences ». Il s’agissait essentiellement de privilégier la langue parisienne d’où toute tournure provinciale ou régionale devait être bannie. »[^1]
Il n’était évidemment, en ce temps-là, pas question d’ordures alsaciennes. Il n’en fut d’ailleurs jamais question puisqu’une grande partie de la population alsacienne ne se mit à parler français qu’à partir de 1945. Mais notons que si le Larousse et le Petit Robert ont donc accueilli le mot, le dictionnaire de l’Académie française, lui, le laisse toujours hors de son champ.
Ceci dit, si une expression comme hopla a pu se glisser dans la langue courante, ce ne semble pas encore le cas pour bredele. Et une certaine distance doit sans doute être gardée vis-à-vis de cet accueil de bredele en français. Plutôt qu’un apport de l’alémanique pour venir vivifier le bon français, il pourrait s’agir plutôt d’une réussite du commerce : le mot se prononce facilement dans les boulangeries, se lit bien sûr les emballages, en remplaçant avantageusement les appellations diverses et souvent compliquées de ces gâteaux. Comment un non alsacophone pourrait-il demander des schwowebredele (recette ci-dessous) ? Terme d’ailleurs ambigu puisque Schwowe, en dialecte, signifie bien Souabes, mais aussi de manière péjorative, Allemands, en équivalence au français « boche ». Le singulier Schwob concernant un boche, et non pas un citoyen du sud-ouest de l’Allemagne[^2].
Mais sans doute sous l’effet de ce régionalisme internationaliste dont nous parlions, ce terme de Schwowe, courant pendant la dernière guerre mondiale et les années suivantes (il pouvait désigner aussi les « collabos » et les sympathisants), est en voie d’extinction dans son sens péjoratif (tout comme boche au demeurant), dans un esprit européen de bon voisinage.
• 250 g de beurre (ramolli)
• 400 g de farine T45
• 250 g de sucre semoule
•150 g de poudre d’amande
• 20 g de cannelle
• le zeste d’un citron
• le zeste d’une orange
Sucre glace & jus de citron
Bien mélanger à la main le beurre, le sucre, la poudre d’amande, la cannelle, les zestes de citron et d’orange. Ajouter la farine tamisée, pétrir jusqu’à ce que la pâte soit ferme. Ajouter du kirsch pour obtenir un mélange homogène. Préchauffer le four à 180°. Abaisser la pâte sur une épaisseur de 3 à 5 mm puis découper à l’aide d’emporte-pièces. Déposer les pièces sur une plaque recouverte de papier sulfurisé. Enfourner pendant 10 à 12 minutes en surveillant la cuisson : les sablés ne doivent pas trop brunir. Étaler le mélange sucre glace citron. Les conserver dans une boîte métallique.
René Fugler & Pierre Sommermeyer
La grève de la faim et le jeûne comme modes d’action Anarchives