Sur l’autonomie en mouvements

Sur l’autonomie en mouvements

Le site internet Fragments d'histoire de la gauche radicale archivesautonomies.org publie en ligne quantité de périodiques et documents « de la gauche radicale et/ou extraparlementaire en vue de rendre possible toute réappropriation de ces productions écrites, orales, audiovisuelles et graphiques par des individus ou des collectifs intéressés par des pratiques et des discours de rupture avec l’existant ».

En juin 2022, il a introduit la catégorie « Autonomie(s) en mouvement », dont nous reproduisons la présentation. Nous la faisons précéder par quelques extraits de la page d'accueil du site.

Ces dernières années, les projets sur internet destinés à rendre accessible des archives sur les luttes sociales et politiques passées se multiplient. Parmi ceux-ci on peut par exemple citer l’ex-site Smolny qui s’est attaché à rassembler et republier les « introuvables du mouvement ouvrier », le projet Archives Getaway [actuellement en sommeil] dont la démarche est centrée sur les luttes sociales et les groupes révolutionnaires éphémères et « tendant à dépasser le cadre des partis et syndicats depuis les années 1960 jusqu’à nos jours », le site La Presse Anarchiste qui diffuse de nombreuses collections de périodiques du courant anarchiste ou encore l’Association Radar et la bibliothèque du Cermtri liées aux différentes organisations se revendiquant de la IVe Internationale. À ces sites tournés vers l’archive s’ajoutent d’autres projets attachés à la diffusion d’écrits du mouvement révolutionnaire.

[…] Notre collectif est né en juin-juillet 2012 dans le prolongement de la démarche impulsée par le site Gougligoubla.wordpress.com [aujourd’hui fermé] dont l’initiateur souhaitait mettre en ligne des documents d’archives sur l’autonomie politique en France entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990. Parmi ces matériaux historiques, dont certains avaient été rassemblés au cours d’une recherche universitaire, figurait par exemple quelques écrits de groupes tels que Camarades, Marge, Matin d’un Blues pour les plus anciens, différents collectifs anti-carcéraux, l’Assemblée de Jussieu ou la scène squat parisienne des années 1990 pour les plus récents. Cette démarche individuelle partait d’un constat : alors que l’autonomie politique (ses formes d’interventions et ses idées) connaissait un regain d’intérêt depuis un peu moins d’une dizaine d’années, on pouvait observer qu’il était extrêmement difficile pour les individus et collectifs intéressés par ces cheminements théoriques ou pratiques d’avoir accès aux écrits produits par les groupes et regroupements qui les avaient précédés. […]

Notre collectif est indépendant de tout parti, syndicat, association ou institution. De même, notre démarche ne s’inscrit pas dans le prolongement d’une ligne politique définie ou à définir. De ce point de vue, nous n’entendons pas nous limiter à un courant théorique ou pratique particulier. […] Le contenu du site se veut une simple agrégation d’outils théoriques, de documents et sources historiques destinés à celles et ceux qui seraient intéressés par les réponses théoriques ou pratiques apportées par des mouvements, luttes, individus ou collectifs qui leur sont antérieurs.

Surtout, les documents diffusés par notre collectif ne sont pas notre propriété. Ils sont librement diffusables et reproductibles. Nous vous invitons d’ailleurs à vous les approprier de la manière que vous jugerez nécessaire. Toutefois, ils ne sauraient être utilisés à des fins commerciales quelles qu'elles soient. Nous vous invitons aussi à mentionner, si vous le souhaitez, leur origine afin que les individus ou collectifs intéressés par notre projet puissent entrer en contact avec nous.

À propos de la rubrique Autonomie(s) en mouvement

L’autonomie en France est un phénomène politique complexe à temporaliser. Ses conditions et son contexte d’émergence sont l’objet d’intenses débats, parmi les autonomes eux-mêmes, au sein d’autres composantes politiques qui sont confrontées au phénomène et dans une moindre mesure dans les milieux universitaires. En simplifiant à l’extrême, une thèse domine. L’autonomie serait née dans le sillage de l’introduction des thèses du courant marxiste radical opéraiste venu d’Italie. Il s’agirait d’un épiphénomène émeutier parisien intervenu à la fin des années 1970 sur fond de décomposition de la scène de la gauche radicale de la capitale. À partir des années 1980, il conviendrait de ne parler que de survivances, notamment dans les squats ou sur le terrain de l’antifascisme.

Du point de vue des sources, une telle approche ne tient pas la route. S’il est évident que la fin des années 1970 correspond en France à une séquence particulière, tout du moins à Paris, des groupes autonomes ont toujours existé en marge des structures organisées du mouvement révolutionnaire et dans les luttes. On peut s’accorder sur le fait que ce que l’on nomme aujourd’hui autonomie tend à qualifier un phénomène spécifique dont on peut retracer les premières formes d’agrégations collectives à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Mais le refus des partis, des systèmes de représentations et de délégations, le recours à l’action directe, la perception de la vie privée comme espace politique, l’expérimentation de formes d’organisations horizontales et décentralisées, le refus du travail, pour ne citer que quelques espaces de conflictualité autour desquels gravitent les autonomes, ne sont ni des espaces nouveaux et inexplorés de la pratique révolutionnaire, ni des thématiques propres uniquement à l’autonomie.

Parler d’autonomie revient à dessiner les contours d’une aire politique qui ne peut être réellement considérée comme un courant idéologique à part entière. Elle ne semble avoir aucun corpus théorique figé, rigidifié autour de quelques figures, de quelques penseurs aisément identifiables. À l’inverse, elle apparaît être une multitude de points d’intersection entre des activistes venus d’horizons politiques différents au sein de tentatives de mettre en pratique ici et maintenant des formes d’organisation et d’intervention politiques qui rompent avec les formes de dominations et d’oppressions du système capitaliste. Une aire politique qui a connu des phases d’accélération, de déclin, des victoires, des défaites, sans que le phénomène ne disparaisse totalement.

En son sein, il est indéniable que certains courants théoriques ont une influence plus notable que d’autres, selon les périodes. Une large part des variantes des courants anarchistes et communistes semblent y être représentées. En cherchant à être précis, on peut rapidement identifier des influences venues des gauches communistes, en particulier ses versants anti-léninistes, de l’anarchisme individualiste, des situationnistes, de l’opéraisme et de ses héritiers, du syndicalisme révolutionnaire, du communisme libertaire, pour ne citer que quelques-unes des plus significatives.

Ces influences ne sont jamais strictement idéologiques. Elles s’entremêlent avec un large spectre de pratiques et de phénomènes sociaux, de scènes contre-culturelles, notamment punk et hip-hop, d’influences générationnelles ou contextuelles, de luttes et de mouvements sociaux.

En ce sens, l’une des difficultés à documenter l’autonomie est sa très grande fragmentation, notamment dans le cas de la France. Le vaste agrégat de collectifs autonomes est loin de représenter un ensemble uni et aisément identifiable. Certains collectifs se cristallisent autour de thématiques spécifiques telles que les luttes pour le logement, les luttes anti-carcérales ou de solidarité avec les prisonniers, l’antifascisme, les luttes écologiques, les luttes ouvrières. D’autres sont le fruit de ruptures politiques au sein des courants ou des pôles organisés du mouvement révolutionnaire et du mouvement ouvrier. Chaque génération qui investit le champ du politique et de la politique est un terrain propice pour l’autonomie sans que ces phénomènes d’agrégation ne suivent un chemin balisé à l’avance. La porosité entre l’autonomie et de nombreux courants de la gauche radicale achève souvent de rendre les choses aisément perceptibles au profane.

Pour un collectif comme le nôtre, cela veut dire qu’il est difficile d’introduire un minimum d’ordre dans le désordre. En d’autres termes, il n’est pas toujours raisonnable de vouloir tout rassembler au sein d’une même rubrique. Il est parfois préférable de rassembler les publications selon leurs biais thématiques plutôt que par une appartenance réelle ou supposée. C’est particulièrement vrai pour l’autonomie. En ce sens, cette rubrique et ce qu’elle contient en dit un peu sur les autonomes dans la mesure où s’y trouvent concentrées certaines publications au sein desquelles ils ont joué un rôle significatif. Mais on trouve également des publications de collectifs autonomes ou de regroupements auxquels participent des autonomes dans d’autres rubriques du site.

[…] Si certaines individualités ou collectifs se retrouvent impliqués dans plusieurs publications qui peuvent se suivre chronologiquement, il n’est pas possible de parler de continuité au sens strict. Au sein des réseaux de relations inter-personnelles qui en sont à l’origine, les dynamiques de recompositions nécessitent de repenser le concept de filiation. Par exemple, Matériaux pour l’Intervention est une publication à cheval entre l’histoire des gauches communistes et l’autonomie. Une partie de ses animateurs fondent Camarades qui s’inscrit à la fois dans une dynamique d’introduction de l’opéraisme italien en France et comme tentative de construction d’un pôle de l’« autonomie organisée », largement inspirée du modèle italien. Certaines des personnes gravitant autour de Camarades participent à Autonomie pour le communisme qui est en grande partie liée aux tensions qui émergent dans le sillage de la manifestation des sidérurgistes lorrains du 23 mars 1979 au sein de la scène de l’« autonomie parisienne » en pleine désagrégation. Par la suite, Nous voulons tout ! rassemble de jeunes activistes qui évoluaient jusque-là dans le sillage ou en marge des cercles liés à Camarades. Un lien ténu permet de relier toutes ces publications entre elles. Parce qu’un certain agrégat de relations inter-personnelles en est à l’initiative. Mais ces regroupements sont en constante évolution, eux-mêmes traversés tout autant par des divergences théoriques que par les expériences individuelles et collectives de ceux qui les constituent. Les individus vont et viennent au gré des initiatives, des publications.

[…] Nous estimons nécessaire de contrer l’histoire officielle de l’autonomie en France en démontrant, par le corpus de sources dont nous disposons, que son émergence n’est pas uniquement liée à un simple phénomène d’importation du modèle italien d’une part et, d’autre part, qu’il est risible de considérer les expériences postérieures à la fin des années 1970 comme de simples survivances. Qu’une rupture soit intervenue entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, de nombreux éléments semblent aller en ce sens, notamment du point de vue d’une rupture générationnelle. En revanche, le phénomène qui se manifeste à la charnière entre les décennies 1970 et 1980 ne participe encore une fois d’un simple effet de transposition du contexte italien sur le contexte français. Les dynamiques de recomposition qui frappent l’aire de l’autonomie en France semblent plus volontiers faire écho à celles qui touchent son homologue germanophone. À savoir l’éclatement de l’aire de la gauche extraparlementaire entre une « vieille génération » de militants, pour la plupart actifs depuis la fin des années 1960, qui se rallie aux expérimentations parlementaires qui se forment à la périphérie des mouvements écologistes, et une « jeune génération », majoritairement politisée pendant la séquence du Deutsche Herbst, qui refuse l’intégration au champ politique traditionnel et souhaite retourner à des formes d’interventions intimement liées aux problématiques de la vie quotidienne.

Fragments d'histoire de la gauche radicale

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