Erwan Sommerer
Dans réfractions nunéro 24, plusieurs articles traitent du rapport entre féminisme et anarchisme. La sociologue et historienne Anne Steiner aborde ce thème sous un angle historique, en décrivant la place des femmes dans les milieux anarchoindividualistes à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Elle rappelle que ce fut un milieu militant largement ouvert aux femmes, critique de la société patriarcale, et prônant l’amour libre et la contraception. Ce fut donc de ce point de vue un cadre égalitaire particulièrement propice à l’émancipation des femmes.
Néanmoins, Anne Steiner rappelle que, malgré ces avancées, ce fut aussi un milieu où persista le « point aveugle » de la division sexuelle du travail. Alors que les femmes participaient sur un pied d’égalité avec les hommes aux manifestations ou aux « causeries populaires », elles n’étaient pas pour autant délestées de tâches genrées « traditionnelles » telles que la cuisine ou la lessive. Loin d’idéaliser ce milieu, l’auteure nous invite donc à y puiser matière à réflexion sur la place des femmes dans les organisations anarchistes.
Toujours dans le n° 24 de la revue, ce problème de la per-sistance du sexisme en milieu anarchiste est de front par le politiste Francis Dupuis-Déri, qui avance plusieurs explications à ce phénomène avant de proposer quelques pistes en vue d'y remédier. À la socialisation viriliste à laquelle les hommes anarchistes — produits de la société patricarcale — n'échappenet nullemenr devrait ainsi être opposée une logique de disempowerment et de renoncement aux privilèges masculinistes. les hommes anarchistes, même bien intentionnés, devraient parfois se reconnaître comme oppresseurs et accepter d'être « pris pour cible » par les féministes.
Le n° 39 comporte pour sa part un débat par articles interposés entre Irène Pereira et Monique Rouillé-Boireau.
Les deux textes se répondent ou se complètent sur plusieurs points, notamment sur la question de l’apport de la notion d’intersectionnalité aux luttes socio-économiques, sur le féminisme matérialiste ou encore sur la pertinence de l’usage de la notion de « race » dans le cadre des luttes anti-discrimination. L’un des points clés du débat, et du désaccord, est alors la possibilité d’une mobilisation contestataire qui soit capable de déployer des identités stratégiques (notamment au sein des luttes contre la racisation et la ségrégation) sans tomber dans le piège de l’essentialisme ou de la naturalisation identitaires.
Luttes sociales et politiques (Introduction générale) De l’émancipation des femmes dans les milieux individualistes à la Belle Époque